On arrive au Forest lorsque le ciel se crève et laisse monter dans un soleil naissant le brouillard en lambeaux d’où sort hébétée la montagne enneigée.
Devant la ferme, un homme et une jeune fille sont immobiles, plantés dans une gadoue gelée recouverte d’une fine couche de poudre.
Une horde de chiens aboie.
On aime cette saison de transition, un peu lassé de l’hiver qui cette année joue les prolongations, lassé de l’hystérie médiatique à chaque nouvelle alerte orange, alerte rouge, noire, alerte tout court.
La vie de l’homme moderne ne semble pas faite pour s’adapter aux aléas climatiques brutaux.
On grimpe aujourd’hui sur le plateau de La Chine.
Une fois de plus.
On aime cet endroit que l’on ne peut voir depuis le bas, sauf à se hisser sur les hauteurs voisines.
On aime la pudeur de cet espace, grands pâturages qui ne se dévoilent qu’au dernier moment, lorsque les derniers pas se hissent hors des congères de la piste d’accès.
Plus bas il a fallu zigzaguer entre les blocs de roche tombés en quantité.
Passage dangereux, silence obligé de peur de déclencher une nouvelle purge de cailloux.
Le ciel aujourd’hui est changeant, il est d’un noir profond vers le sud d’où l’on devine la chavanne qui arrose la barre des Dourbes.
Plus proche, la cloche de Barles s’enroule d’une écharpe grise qui s’échappe par la crête sommitale éclairée par instants d’un rayon de soleil timide.
Phare de roche et de neige, sentinelle du pays des edelweiss.
Les hivers se suivent et ne se ressemblent plus, le contraste est saisissant entre l’abondance de cette année et la faiblesse de l’hiver dernier, on ne boude pas notre plaisir lorsque il reste encore un bon mètre cinquante de neige par endroits sur ces prés qui auront besoin de l’eau pour faire pousser l’herbe, mangée par les moutons, mangés eux même par le loup et par l’homme éventuellement.
Le petit bois solitaire de mélèzes, carré incongru au milieu de cette masse blanche attend lui aussi la cinquième saison chère à Rick Bass, saison austère faite de boue et de végétation brûlée par l’hiver, de névés en perdition sous la chaleur revenue.
Au retour, ayant coupé par les crêtes, on retrouve au Forest, l’homme et la jeune fille immobiles, au même endroit qu’au matin, les pieds dans la boue dégelée, mélange informe de paille et de terre qui sent la pisse de mouton.
La horde aboie toujours.
Ce matin aux informations il était annoncé qu’un éleveur de bétail passait beaucoup plus de temps au travail qu’un cultivateur de betteraves pour un salaire inférieur et des aides financières ridicules.
Mardi 12 mars 2013