Forêt des Hêtres Tordus-FROID NOIR ( chronique d'un arrière monde)

Ce matin au lever du jour la température relevée à Verdaches était de moins 22 degrés.

“J’ai plus d’eau “ annonce Jean Daniel à l’entrée du village. Tout a gelé dessous.

Dessus aussi tout est gelé, les arbres, la neige, les gens, jusqu’à l’air que l’on respire.

L’eau de la rivière coule mais sous la glace.

Le pas sur la neige sonne métallique.

On part raquette au pied pour trouver la forêt des hêtres tordus.

La piste qui grimpe vers le “pré du bois“ passe devant une maison avec des arbres qui poussent étrangement sur la terrasse, la nature a repris son cheminement, rien n’empêche maintenant les troncs de pousser entre les lattes du parquet.

A travers une vitre sale, on devine une chambre avec des lits superposés, un matelas à la dérive, un morceau du toit pend le long de la gouttière.

Pour aborder le sentier raide il vaut mieux rester bien accroché au sol, ce qui ne sera pas le cas en fin de journée lorsque attiré par une hypothétique piste qui descend en coupant vers le vallon on se retrouvera accroché aux branches pour le meilleur et le cul par terre à dégringoler dans le ravin pour le pire, homme de neige en posture ridicule.

On s’en tire en suivant un ruisseau, puis en traversant la rivière afin de rejoindre la piste qui s’avèrera épuisante de neige profonde et collante, parsemée de tranchées animales, traces de lutte pour la survie, de coulées de neige, mélangées de roches de feuilles et de glace.

Plus haut et plus tôt on est sorti d’une forêt enchantée, forêt de contes d’enfants, hêtres tordus aux formes animales, branches gesticulantes s’élevant vers un ciel devenu plus grand, troncs noueux figés en figures menaçantes.

Pour peu on les aurait imaginés en train de bouger, partir à la bataille, grondant de leurs racines et déchirant la terre. Seigneurs de la forêt.

En débouchant sur le “pré du bois“ le paysage est apaisé, neige poudreuse et légère, un grand panorama s’étire du Blayeul vers les Ecrins en englobant les plateaux enneigés de La Chine.

Les alentours de Verdaches aujourd’hui avaient sous un visage hivernal assez fière allure, « on est sorti de la période où le soleil nous quitte à 14h30 » explique Gérard, « mais c’est aussi un village qui se meurt, peu d’actifs, des jeunes retraités comme nous qui viennent chercher une qualité de vie, retrouver du lien social différend, un contact humain et simple. “

Il n’y a pas de travail sur place mis à part un gite, installé dans l’ancienne école, et qui semble offrir des alternatives à une vie formatée « boulot télé dodo. ».

“Les enfants qui y vivent n’ont pas de télé, ils fabriquent leurs jouets avec des bouts de bois et de ficelle, toujours un couteau dans la poche, l’imagination fait le reste, ils connaissent le nom de toutes les plantes et de tous les animaux de la montagne “.

On croise Pascal sur le chemin de la Chapelle St Domin.



“ Il est italien, il est arrivé ici à 20 ans pour couper du bois, il s’est marié et n’est jamais reparti, il a 75 ans, est charpentier, menuisier, travaille encore et marche deux heures par jour avec sa femme et son chien, il fabrique un génépi qu’il faut boire a toute petite dose.. »

Hier il a éventré la boîte aux lettres de son voisin en glissant sur la neige avec son camion.

Il dit en rigolant qu’il a insulté le “ barbu là haut “.

Il est 16h30, le soleil vient de disparaître derrière la crête, un peu plus tard qu’hier.

Jeudi 14 février 2013.