“Vous en avez bien du courage de monter à Chavailles ce matin “.
La dame sort de chez elle attirée par notre présence, aidée de sa canne pour ne point glisser sur la neige fraiche de la nuit.
“Vous avez bien du courage de vivre ici toute l’année “ aurait on pu lui répondre.
Mais on ne dit rien parce que l’on sait que pour les gens nés ici, la vie qui semble difficile n’a pas la même valeur lorsqu’on habite un hameau isolé en fin de vallée à 1200 m d’altitude.
Ce n’est pas la première fois que l’on rencontre cette dame, on ose cette fois lui demander un portrait alors qu’elle s’en va nourrir « sa » poule avec un petit plat rempli d’herbe finement coupée.
Elle s’arrête devant la porte branlante du poulailler, se retourne, regarde le soleil qui sort de la crête, regard d’aigle, puis lâche un définitif : “ Non je marque trop mal, allez voir le gars du troupeau“.
Plus loin donc “ le gars du troupeau “ déneige et on croit le connaître.
“ Non c’est mon frère que vous avez vu l’été dernier avec son troupeau à Mourréen, on se ressemble, moi je faisais le maçon à Digne, maintenant je suis à la retraite “.
On devise quelques temps sur la neige à pelleter qui donnera l’eau nécessaire pour l’été.
Le soleil arrive franchement, “ pas besoin de déneiger, ça va se faire tout seul, ici au versant sud la neige elle tient pas “.
Aujourd’hui on voulait voir la Montagne de Lachen, terminus du Cheval Blanc, d’un point de vue bas, du fond de la vallée qui se termine devant ces hautes barres rocheuses.
En pensant à Maria Borély et son récit « Les Reculas “.
“ A gauche c’est le col de Lachen, là au milieu le col du Talon, faut pas y monter maintenant, c’est pas bon “.
Une prudence nécessaire.
Au retour du “grand champ d’en bas“, après s’être rassasié d’une vision modelée de cette masse neigeuse et rocheuse et d’une magnifique carcasse d’un camion Berliet, on croise Mr Garcin, berger à la retraite qui fait une pause après avoir coupé son bois.
Le promeneur étant rare, l’occasion de l’échange verbal s’impose.
“ Cette montagne je la connais comme ma poche, j’ai fait 30 ans le berger, j’en connais tous les sentiers, les cailloux et les pièges, plusieurs fois j’ai failli y mourir, c’est une montagne fragile, friable, dangereuse, j’ai sauvé la vie d’un randonneur qui était tombé d’une barre, on y voyait les tendons des bras “.
“La vie ici n’est pas facile, mais pour les natifs pas question d’aller ailleurs, et puis on a le soleil, c’est important, à Chanolles en bas de décembre à janvier ils le voient pas“.
Au soleil justement le gars du troupeau et la dame à l’unique poule parlent appuyés sur le mur, ils parlent du temps, bien sûr, et du loup aussi, comme l’homme ce matin qui venait récupérer les containers et qui demandait avec curiosité si on en avait déjà vu un.
Le débat est vaste, les avis divergent, chien errant ou loup, le chien tue, le loup égorge et se repait du sang et des tripes.
Une voisine se joint au groupe, un homme plus bas déménage ses patates qui commencent à germer dans la cave, la neige ruisselle bruyamment depuis les toits.
Mais tout le monde est d’accord pour dire qu’il ne neige plus autant comme par le passé.
Lundi 28 janvier 2013.