Vallon du loup, la Brèche et Fort de Dormillouse-FROID NOIR ( chronique d'un arrière monde)

L’homme gratte la neige dure avec sa pelle sur l’aire d’arrivée du télésiège de la Brèche.

Il est 9h30, nous sommes à 2300 m d’altitude.

On vient tranquillement de rater la sortie, et on se retrouve ski aux pieds dans l’entrée de la cabane des pisteurs.

Peut être est ce l’habitude d’y pénétrer hors saison qui nous a poussé, tel un aimant, dans cette mauvaise direction.

L’homme lâche sa pelle avec le flegme de celui qui a l’habitude de voir toutes sortes de skieurs se vautrer à l’arrivée.

“Vous vous être trompés “ dit t’il diplomatiquement, c’est plus loin qu’il faut descendre.

On répond humblement que l’on aimerait photographier le point de vue, là où il est bien sûr interdit d’aller.

Pris de pitié l’homme répond : “Bon ok c’est bien parce qu’il n’y a personne sinon on peut pas gérer “.

Toute la journée les pisteurs gèrent le siège, ramassent les éclopés de la sortie acrobatique, grattent la neige dure, en rajoutent quand elle fond.

Ils ont le teint cuivré des hommes d’altitude, la lunette noire qui dissimule le regard et protège de l’ophtalmie des neiges, l’accent trainant du début des Alpes qui perd lentement sa consonance Marseillaise.

On demande conseil pour savoir par où passer afin de rejoindre le Fort avec des raquettes.

“Oubliez tout ça pour l’instant, c’est dangereux, il y’a un passage exposé avec de la glace, des plaques à vent qui se sont formées en crête et qui sont prêtes à dévaler, Dormillouse, Bernardez, évitez, et puis c’est bien plus beau vu de loin non ?“

Le drapeau jaune et noir à damier claque au vent, danger avalanche, risque 4 sur 5.

Pour une fois on s’incline et on baisse la tête devant le paysage.

Sur la crête le vent souffle en rafale, soulevant une poudrerie qui s’infiltre partout.

Visibilité réduite, poils qui gèlent sur le visage, sensation d’être dans une machine à laver.

Depuis deux jours la neige n’a cessé de tomber en altitude.

Plus bas en plaine elle a joué à saute-mouton : un jour la pluie, une nuit la neige.

“On va pas se plaindre “ rajoute le pisteur.

Les nombreux skieurs hors piste non plus ne se plaignent pas.

Pentes poudreuses scarifiées.

Il y a un vrai plaisir à re-découvrir ce lieu que l’on pratique à pied hors saison de ski.

Mais les lacs ont disparu au profit des autoroutes pour skieurs.

Les animaux sont cachés, leur territoire volé par “ l’homme qui glisse.“

En juin lorsque la neige aura fondue fleuriront avec les crocus les déchets organiques du loisir hivernal.

Le retour en station se fait ici de deux manières.

Soit hors piste dans la pente de la Brèche, a la manière des chamois, mais on opte pour le second choix : le télésiège.

Choix que l’on regrette vivement lorsque les pieds quittent le sol pour se retrouver projeté, assis sur le frêle esquif de ferraille, face à 400 m de vide, seul devant un panorama gigantesque.

On ferme les yeux. Le ventre se crispe.

Pendant un instant seulement on devient un oiseau.

Lundi 21 Janvier 2013.