Cabane Granier dite de La Blanche-FROID NOIR ( chronique d'un arrière monde)

Trois bonnes heures après avoir quitté le parking du Fanget on approche de la cabane Granier dite Cabane de La Blanche sans trop savoir comment on a pu arriver là sans se tromper.

On a pas mal hésité sur le parcours à prendre.

Coupé dans les pentes au Négron, rejoint le Lauzerot, puis Le Lautaret, pour continuer de s’élever vers l’endroit supposé.

Le ciel se confond avec le sol, les repères se sont évanouis dans le rideau de neige fine qui tombe en continu, la seule présence d’un chardon émergeant de la neige se transforme en un personnage menaçant, et pour peu qu’ils soient nombreux en une armée cachée prête à nous anéantir.

Un rien nous effraye, un bruit insolite, une empreinte de loup.

La grande solitude conduit à la peur.

“Hé, venez par ici !“

On sursaute encore, la voix est bien nette, réelle, l’hallucination se métamorphose en un homme qui vient maintenant à notre rencontre depuis la cabane qui fume discrètement.

Poignée de main.

“Je suis le maire d’Auzet, rentrez au chaud“.

A l’intérieur ils sont 5, attablés et rigolards en ce début d’année passé en altitude.

La chaise est avancée, une assiette se pose devant nous, le verre se remplit.

“Désolé on a plus de champagne, sers toi comme tu veux“.

Il est des hasards heureux, comme celui qui nous fit monter en ce jour de l’an vers ce lieu improbable voué à la solitude hivernale.

Improbable en effet de rencontrer une cabane de berger, pleine de convives accueillants, d’un feu de poêle et d’une multitude d’histoires racontées pêle-mêle, histoires de bergers, de loups, de passions communes qui animent tous ces gens réunis autour de cette table.

Ils viennent pour les plus proches d’Auzet, de Barles, de Seyne, pour les plus jeunes d’Avignon.

Assemblée hétéroclite, un conseiller général, une dame nommée Diana, une jolie fille, un jeune unijambiste qui raconte non sans humour les traces de sa béquille laissées dans la neige pour tromper les suiveurs.

A minuit ils étaient dehors sur la crête, au clair de lune avant que le ciel ne se bouche et déverse sa poudre fine, comme pour mieux oublier le reste du monde et passer vers cette nouvelle année.

“Tu aurai vu l’Estrop hier soir au coucher, il était rose “.

La cabane sert au berger lors de l’estive, elle est petite, tapissée de photos, avec des fenestrons qui donnent sur un paysage vallonné. Par beau temps on voit le Blayeul.

Sur les solives pendent des sonnailles en grand nombre.

Juste à côté il y a l’autre cabane du berger, celle d’avant le confort.

L’intérieur est d’époque, mobilier spartiate, minimaliste, crânes d’animaux morts éclairés par une lumière blafarde.

“Les bergers avant n’étaient pas considérés, on ne leur demandait pas leur avis sur leurs conditions de vie, maintenant c’est quand même plus confortable pour eux “.

Roger fait visiter son domaine avant que l’on s’en retourne.

“Tu comprends pourquoi on ne veut pas de route qui monte jusqu’ici “.

Il est 14 heures, le paysage se referme en une gangue humide et grise qui s’infiltre partout, jusqu’aux lentilles de la boîte à images.

Mercredi 1er janvier 2013.