''“En juin 1870, les bergers découvrent le corps d'une malheureuse femme qui, en novembre, n’avait pu passer le col de Lachen pour se rendre chez sa fille sur le point d'accoucher à La Valette. A Chanolles son mari croyait qu'elle aidait encore sa fille à La Valette, et à La Valette on pensait qu'elle était toujours à Chanolles“.''
Par une journée venteuse et neigeuse sur le Col de La Baisse, on contemple, les pieds bien accrochés à la pente, le Col de Lachen et ses parois verticales où l’on devine de petits passages escarpés utilisés par la “malheureuse“ dans son funeste et dernier périple.
On se dit que la montagne de l’époque n’était pas encore un lieu de loisir, les déplacements étaient difficiles, on pense à cet instituteur du Vernet qui partait à ski vers Mariaud par tous les temps pour donner ses cours, les vallées communiquant difficilement entre elles.
C’était un espace de rude labeur et de vie simple, car il n’y avait pas d’autre choix.
On se console en imaginant qu’en 2012 la “malheureuse“ contemporaine pourrait partir précipitamment de son village, alertée sur son téléphone portable de l’accouchement imminent de sa fille, et se tuerait en voiture en loupant un virage sur une petite route enneigée du département.
On mettrait juste moins de temps pour retrouver son corps.
La montagne est devenue un terrain de jeu dangereux, l’industrie du loisir supplantant petit à petit les travaux agricoles, le touriste en troupeau participant à l’intermittence de la fréquentation des sites, à son enrichissement épisodique et aléatoire.
Ce jour, pour accéder vers ce modeste col on traverse une zone pastorale recouverte de neige labourée par des sangliers affamés.
A l’entrée de la piste un panneau de bois recommande de ne point s’éloigner des sentiers et de tenir son chien en laisse afin de ne pas déranger la vie des moutons lors des estives.
Les troupeaux humains et ovins ne sont pas encore là.
En cette fin de mois d’Avril la neige de printemps recouvre à retardement ce grand cirque de montagne.
On pense au dérèglement climatique qui a modifié en peu de temps les fréquences des chutes de neige, menaçant de ce fait l’équilibre économique de ces régions.
Mais pour l’instant, le dos bien calé contre la cabane de La Baisse, on regarde en silence ce paysage qui brûle nos yeux.
Vendredi 20 avril 2012.